Yakitori Le goût de la braise

Par Camille Oger

Lorsqu'on se balade dans une ville japonaise, peu importe laquelle, on peut être certain d’y trouver au moins un établissement spécialisé dans les yakitori. Ces brochettes cuites sur le gril sont si populaires qu'elles sont omniprésentes dans tout le pays. C'est un plat mangé par tout le monde, des plus riches aux plus pauvres, sous une forme qui change peu malgré la diversité des recettes. 

Leur nom, yakitori /焼ㄽ鳥, est d'ailleurs trompeur. Il est composé de deux termes : yaki, qui signifie « grillé », et tori, le terme générique pour parler des oiseaux mais qui désigne ici le poulet (niwatori). Si les yakitori sont toujours grillés, et toujours présentés sous forme de petites bouchées embrochées sur des piques en bambou, ils sont toutefois loin de se limiter à la viande de volaille. On trouve en effet toutes sortes de variétés, dont certaines sont à base de porc ou de légumes entre autres. 

Quand le poulet était un luxe au Japon…

Leur histoire est longue et complexe, car rien ne prédestinait le Japon à devenir un pays de mangeurs de viande. Après une longue période de végétarisme imposée dès le 7e siècle, tradition bouddhiste oblige, l'élevage des bêtes dans un but alimentaire était proscrit au Japon. On chassait volontiers du gibier, des baleines et toutes sortes d'animaux sauvages afin de contourner cette règle, mais jusqu'à récemment, la viande de poulet était rare et chère. Quand les yakitori ont fait leur apparition – la première mention écrite remonte à l'époque d'Edo, au 17e siècle – le poulet était un produit plus luxueux encore que le bœuf. Si la toute première recette écrite était bien à base de volaille, personne ou presque à cette époque n'en mangeait. 

Aussi, pour voir apparaître les yakitori sous leur forme actuelle de brochettes, il a fallu attendre encore quelques siècles. La restauration Meiji (1868) a marqué un tournant dans les habitudes alimentaires des Japonais, avec le grand retour de la viande et l'apparition du sukiyaki par exemple. L'art de la brochette s'est également développé, mais on s'en servait principalement pour l'oden ou la tempura. En tous cas, le poulet restait une denrée rare et recherchée.

L’art d’accommoder les restes

À la demande générale, les vendeurs ambulants ont trouvé une parade pour servir cette viande au cours du 19e siècle. Ils récupéraient les carcasses et déchets de poulet des grands restaurants et embrochaient des morceaux qui n'étaient certes pas nobles, mais comestibles, les faisaient griller sur la braise et les vendaient à bas prix à l'entrée des temples, près des ponts ou lors des matsuri (fêtes locales). Comme ils disposaient de peu de volaille, une grande partie de leurs brochettes étaient à base d'autre chose, comme de la viande de cheval, des abats de bœuf ou même du chien. Au début du 20e siècle, le yakiton, une spécialité de viande de porc grillée, a fait fureur dans le Kanto (la région de Tokyo), et sa popularité a ouvert la voie au yakitori.

Avec la seconde guerre mondiale toutefois, la viande est à nouveau une denrée rare et il faudra attendre les années 50 pour que les brochettes grillées refassent leur apparition, principalement à base de porc ou de bœuf. Leur prix a baissé progressivement avec le développement de l'élevage, mais la grande révolution, c'est l'arrivée des grils modernes sous l'occupation américaine. Dans les années 60, ces petits barbecues permettant de griller les aliments au charbon sont devenus très communs, et sont restés la norme depuis. Avec une viande désormais abordable et variée, ainsi que des ustensiles répandus partout, les yakitori sont devenus un plat populaire, souvent vendu sur les stands de marchands ambulants ou dans de petites échoppes (les yatai), mais c'est aussi une grande spécialité des izakaya, les tavernes japonaises, car nos fameuses brochettes sont un plat que l'on sert typiquement pour accompagner l'alcool. 

La « bœuf-fromage », une invention française !

On les vend généralement par deux pour des prix dérisoires, avec des portions de chou en accompagnement gratuit servi à volonté. Dans certains établissements de luxe, on trouvera également des versions chics impliquant des produits rares et du charbon de très haute qualité. Si le nom « yakitori » est resté, on trouve à présent des brochettes à tout : toutes les parties du poulet ou presque sont utilisées, mais l'offre ne s'arrête pas là. Le porc, le bœuf, les végétaux sont des yakitori ordinaires. En revanche, certaines recettes adorées des Français n'ont aucun rapport avec les traditions japonaises : le bœuf au fromage, par exemple, est une invention typiquement gauloise que l'on retrouve dans les pays anglo-saxons dans une version au bacon.

Certains des morceaux utilisés pour la confection des brochettes peuvent surprendre les voyageurs, car les goûts des Japonais sont bien différents des nôtres. Le plaisir résidera pour eux dans la diversité des saveurs et des textures, et ils se régaleront de peau, de cœur ou de cartilage de poulet, d'estomac de porc, de langue de bœuf ou d'autres spécialités encore plus improbables en France, comme… l'utérus de truie. Quant au blanc de poulet, que nous avons tendance à favoriser, c'est un morceau assez peu recherché au Japon et en Asie en général. Autre surprise : la sauce sucrée-salée dont nous avons l'habitude est loin d'être la norme. Dans certaines régions, les yakitori sont uniquement proposés en version salée, mais le plus souvent, on vous laissera le choix entre l'option au sel (shio) ou à la sauce (tare). Vous pourrez même vous passer de baguettes pour les manger – à moins que vous ne souhaitiez les partager avec vos amis.

Quelques yakitori populaires

Les brochettes grillées les plus répandues au Japon ne sont pas forcément celles que l'on croit ! Voici les préférées des Japonais.

Momo

Les recettes qui marchent sont souvent les plus simples. Uniquement à base de petits morceaux de cuisse de poulet, c'est le grand classique.

Negima 

Très populaire dans le monde entier, c'est l'un des best-sellers au Japon, alternant viande de poulet et ciboule. On utilisera souvent du blanc de poulet en France, alors que la recette originale est préparée avec la viande des cuisses, plus grasse et tendre.

Tsukune

zCes boulettes de poulet ou de porc (à gauche sur la photo) sont tendres, un peu aplaties et plus ou moins toujours embrochées par trois.

Kawa

Il n'y a que de la peau de poulet sur cette brochette ! À la fois croustillante, grasse et moelleuse, elle fait le bonheur des gourmands.

Tebasaki

Au Japon, on garde la pointe des ailes de poulet pour les bouillons, mais le reste, composé de deux os couverts de viande et de peau, est désossé et embroché pour réaliser cette recette.

Reba 

Grands amateurs d'abats, les Japonais sont fous de cette brochette de foie de poulet ou parfois de porc. Ils sont également friands d'autres recettes dans le même ton, comme les gésiers (sunagimo) ou le cœur (hatsu).

Nankotsu

Cette brochette peut dérouter, mais elle est en accord avec l'histoire des yakitori et le goût des Japonais pour les textures variées : il s'agit de morceaux de cartilage – souvent de poulet, mais aussi de porc. 

Shiro

L'intestin grêle du poulet est piqué en zigzags et servi dans son plus simple appareil. Si les tripes de volaille n'attirent pas vraiment les Européens, c'est un aliment très courant en Extrême-Orient. 

Butabara

Pour les amateurs de porc, c'est la meilleure des brochettes : il s'agit de poitrine, avec sa viande bardée de gras, grillée jusqu'à devenir croustillante et fondante à la fois.

Enoki maki

Cette recette, qui plaît autant aux étrangers qu'aux Japonais, est à base de champignons enoki enroulés dans de fines tranches de porc.

Shiitake

Les champignons shiitake sont débarrassés de leur pied, puis leur chapeau est embroché et grillé entier, voire coupé en deux s'il est de gros calibre.

Piman et Shishito

Les petits poivrons verts (piman) sont coupés en deux dans le sens de la largeur, et les petits piments verts doux (shishito) sont cuisinés entiers.

Ginnan

La noix de ginkgo, appelée ginnan, est délicieuse grillée et salée. On la mange volontiers en accompagnement des boissons alcoolisées, c'est donc un yakitori typique des izakaya.

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