Festin de fougères

Au printemps, un vent de fronde souffle sur le Japon. Partout, des cueilleurs partent à l’assaut des bourgeons de fougère, considérés comme un délice sur l’archipel. Une façon 
de communier avec la nature et de réveiller ses papilles après l’hiver…

Par Tinka Kemptner

Les Français ont leurs champignons, les Japonais leurs crosses. A chacun son objectif, en chaussant ses bottes, direction la forêt, une corbeille au bras. Et à chacun ses délices, mais aussi ses risques. Car disons-le tout de go : manger des bourgeons de fougère demande circonspection et initiation. Certes, on n’en meurt pas comme d’une amanite phalloïde. Mais une mauvaise préparation et une consommation trop fréquente peuvent s’avérer périlleux. Les Japonais le savent très bien qui ne mangeraient pour rien au monde leurs crosses crues (en cause, une forte teneur de dérivés de cyanure dans certaines espèces). Non, le délicat légume-feuille se mérite : après l’avoir déniché, ils le saupoudrent de cendres de bois, le recouvrent d’eau bouillante pour le laisser tremper toute la nuit puis le cuisent 12  à 15 minutes. Mais au bout de l’effort, quel ravissement ! Une douce amertume, une saveur rappelant des notes d’asperge sauvage, d’artichauts, de brocoli voire de noisette, et une texture fondante à souhait.

A l’instar des champignons, les fougères forment une famille nombreuse (près de 13 000 variétés). Les Nippons en ont sélectionné trois pour leur plaisir personnel : le warabi (fougère aigle), le zenmai (fougère royale du Japon, la Rolls du genre mais la plus fastidieuse à préparer) et le kogomi (fougère autruche). L’appétit pour ces variétés ne pouvant être assouvi par une simple balade en forêt occasionnelle, force est de s’en remettre à des cueilleurs professionnels voire à des cultivateurs qui commercialisent les fougères et en font même des conserves que l’on pourra consommer tout au long de l’année. Au risque de faire une entorse au sacrosaint  principe de saisonnalité si cher aux Japonais. Car manger des fougères en été c’est un peu comme déguster des fraises en hiver…

Les vrais initiés s’en délectent uniquement entre la mi-avril et la mi-mai. C’est à ce moment-là que les têtes de violon pointent leur nez dans les sous-bois. A peine éclos, encore enroulés sur eux-mêmes, les délicats bourgeons sont ramassés et rapatriés en cuisine. Sautés, grillés, cuits vapeur, accommodés en flan, tempura, soupe miso ou salade, la suite des événements est toujours source de joie dans les familles nippones. Une façon de se frotter aux forces vitales libérées au printemps ? « Manger devient une sorte de communion avec la nature. A travers la consommation de ses produits mais aussi et surtout de ses messages. Par delà les aliments, c’est la saveur de la nature elle-même que l’on ingère », poétise Gian Carlo Calza dans Style Japon (Phaidon). « Les Japonais apprécient énormément le côté « détox » des crosses de fougères », assure Keiko Sumino-Leblanc, journaliste japonaise installée à Paris. 

Au printemps, les montagnes de l’archipel sont envahies par des hordes de jeunes urbains en mal de chlorophylle. Pour assouvir leur vert désir, ils ont le choix entre de nombreuses excursions-cueillette organisées. Un hobby difficilement imaginable en France où bien peu de gens savent que certaines fougères sont comestibles. Interviewé par le journal Le Monde il y a quelques années, Hara Hidetoshi, ancien cuisiner installé à Paris, se rend chaque année au fin fond de la forêt d’Ermenonville dans l’Oise où il s’approvisionne en tendres bourgeons de fougère. A ce jour, il n’a toujours pas la moindre concurrence !

L'art du sansai

Les crosses de fougère font partie des sansai, littéralement « légumes de montagne ». Cette catégorie d’aliments joue un rôle plus que décoratif dans la gastronomie nipponne. Jadis, les ermites bouddhistes y puisaient une partie de leur ration calorique quotidienne. Aujourd’hui encore, les sansai font partie intégrante de la shojin ryori, la cuisine végétarienne des temples zen. Ils ponctuent aussi le kaiseki, la haute gastronomie japonaise et émanation de la cuisine des moines bouddhistes. Souvent ramassés en altitude, donc plus proches du ciel, les sansai seraient gorgés de ki, le souffle vital… Ils font aussi partie des aliments amers dont chaque repas japonais doit contenir une touche. Leurs noms sont tout aussi exotiques que leurs goûts sont étonnants : takenoko (pousses de bambou), tara nome (pousses de l’angélique du Japon), yama udo (asperge sauvage), nanohana (un cousin montagnard du brocoli), kinome (pousses de sansho)… Leur arrivée sur les étals et dans les restaurants est guettée avec impatience chaque année. On les vend en barquettes, associant souvent plusieurs variétés : une pousse de bambou, une poignée de crosses de fougères, quelques feuilles de kinome… Pour y goûter, direction le site de vente en ligne Nishikidori Market où nous avons déniché des sansai en conserve (champignons nameko sauvages, têtes de violon, bambou sauvage, udo…) : 200 gr. vendus 12 € sous l’intitulé bucolique de « mélange de plantes sylvestres » !

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