Comment vendre le saké aux Français ?

Xavier Thuizat, chef sommelier du restaurant « Lili » à l’hôtel Peninsula Paris, qui propose une gastronomie cantonaise, a introduit les sakés dans sa carte des vins dès  l’ouverture du restaurant : « Certains goûts rendent l’accord difficile pour les vins : l’acidité, les œufs (de poisson, de volaille), l’amertume, le goût iodé. Les soupes, par exemple, sont difficiles à marier avec un vin. 

Présenter des sakés de haute qualité

Ce sont justement ces éléments que les sakés peuvent accompagner à merveille. La cuisine cantonaise m’a donc paru parfaite pour essayer ce mariage avec des sakés élégants ». Résultat : même les clients japonais apprécient les judicieux mariages que les sakés japonais produisent, ajoutant toute une gamme d’arômes à la gastronomie chinoise.

Toshirô Kuroda, patron d' Issé Workshop, a énormément contribué à l’entrée des sakés dans les restaurants gastronomiques français. Selon lui, « si on fait venir des sakés du Japon, compte tenu de la distance et des coûts de transport, il vaut mieux que ce soient des bons, voire d’excellents sakés. Ce qui ne va dans le sens d’un produit populaire et bon marché. »

Mettre en avant le goût du partage et de la convivialité 

À La Maison du Saké, vaste espace de 100 couverts récemment ouvert dans le quartier des Halles, l’accent est davantage mis sur la convivialité. Youlin Ly, le patron du lieu, mise beaucoup sur le développement du saké en France : « Nous proposons une cuisine d’izakaya, comparable aux bistros d’ici. Nos clients vient boire entre amis, partager les mêmes bouteilles, les mêmes plats pour passer une soirée amicale. Et si la bouteille qu’ils ont testée leur a plu, ils peuvent bien évidemment l’acheter en sortant, puisque nous sommes aussi cavistes. »  

Même approche pour Jérôme Bracco, gérant de Kura, un restaurant de cuisine japonaise dans le 16e arrondissement, pour qui le saké est aussi, avant tout, une boisson conviviale. Les sakés qu'il propose sur sa carte proviennent de petits producteurs qu’il sélectionne lui-même au Japon  : « Notre clientèle est très variée ; il y a des Japonais mais aussi des Français, et le week-end, beaucoup de familles. Les habitués peuvent toujours découvrir de nouvelles cuvées puisque je change une partie de ma carte à chaque saison : en hiver on apprécie plus les sakés amples avec les nabé (marmites) par exemple, alors qu’au printemps et l’été, on préfèrera des sakés plus fruités, plus fins, qui iront avec les plats frais. »    

Raconter une histoire

Mais ce dont tout le monde témoigne à l’unisson, c’est de l’importance de « raconter une histoire » autour du saké. Xavier Thuizat décrit pour les cuvées qu’il a choisies, leurs particularités et ses impressions personnelles. Youlin confirme : évoquer les paysages du saké est plus qu’important. C’est la raison pour laquelle il sélectionne chaque mois « une région » et non un type de saké. Les dialogues que les clients peuvent avoir directement avec des producteurs venant du Japon à l’occasion des dégustations mensuelles les aideront à mieux percevoir la sensibilité de chaque saké.  

Patrick Duval, patron d'Issé Izakaya, est du même avis : « Boire du saké doit ressembler à un petit voyage au Japon. Les clients l’apprécient beaucoup mieux quand on leur donne quelques clés. »  

Toshirô Kuroda le confirme mais refuse souvent de parler technique : « Parfois, plutôt que d’aborder les histoires de polissage des grains de riz, je me contente de parler de la tristesse des fougères, de l’automne, de la beauté d’une dame qui est en train de vivre ses derniers beaux jours… » Et la magie fonctionne encore mieux !

Ne pas négliger les débutants

Lorsqu’on vient demander à Toshirô Kuroda comment il s’y prend pour faire aimer le saké aux Français, il ne vous répond pas avec des mots mais avec une bouteille et un verre car pour lui, le saké est d’abord affaire de sensation et de goût. « Les gens qui sont formés à déguster des bonnes choses savent instinctivement quels sont les bons sakés. »

Parfois, et seulement s’il sent que le client est prêt à jouer le jeu, Xavier Thuizat glisse un koshu (saké maturé) à côté d’un Xérès ou d’un de vin jaune, sans rien dire. « D’abord le client perçoit une certaine proximité puis il découvre toute la richesse du saké. »

Réaliste, Patrick Duval reconnaît que la plupart des Français amateurs de saké (il s’inclut lui-même dans cette catégorie !) sont très loin de vraiment connaître cette boisson. « On observe une vraie demande d’information c’est pourquoi nous diffusons gratuitement une petite BD (Saké Manga) qui explique ce qu’est le saké et comment le boire. Nous formons ainsi de véritables « ambassadeurs du saké »  capables de l’expliquer à leurs amis et de les transformer en nouveaux adeptes… ». 

Pour  Kaoru Iida, représentante en France de la marque « Dassai », il faut surtout faciliter au maximum l’accès au saké pour les débutants : « Lorsqu’un Français décide de boire du saké pour accompagner son repas, il fait déjà un grand pas ! Alors il ne faut pas lui compliquer la tâche en le forçant à choisir dans une liste de sakés interminable. Proposer une ou deux références est peut-être la bonne solution... » Quand ils ont repéré une marque, les clients sont fiers de montrer à leurs amis qu’ils s’y connaissent.

Comment faut-il réagir lorsqu’un client trouve le prix du saké un peu élevé par rapport au vin ? Kaoru Iida conseille aux restaurateurs de le comparer au champagne. 

« Personne ne s’étonne qu’une bouteille de champagne puisse coûter 60 euros car on sait bien que les étapes de fabrication sont nombreuses et délicates. »

Faire déguster pour initier 

A la Maison du Saké, ouverte tout récemment aux Halles, Youlin propose un « saké du mois » en dégustation à 3 euros ; « Comme nous sommes ouverts non-stop, il y a beaucoup de gens qui passent à l’heure d’apéritif et prennent un verre de saké avec un petit plat. Nous pouvons nous permettre ce prix attractif car nous sommes nous-mêmes importateur, et nous avons cette stratégie d’augmenter les volumes pour baisser les prix. »

Chez Issé Izakaya, Patrick Duval organise aussi régulièrement des dégustations. « Rien de tel, pour affiner le palais, que de comparer différents sakés et de partager ses impressions avec ses amis. Les clients sont toujours stupéfaits de constater la variété des goûts qu’on obtient en utilisant seulement de l’eau et du riz… » Il propose des petits sets de trois verres de sakés très différents allant du plus classique au plus raffné…

Distributeur d’une quarantaine de références, Keiichirô Miyagawa, sommelier de formation, essaie de convaincre les restaurants français d’introduire le saké sur leur carte : 

« une nouvelle ère a déjà commencé, affirme-t-il : même pour les vins, la diversité est de mieux en mieux acceptée, on peut choisir les vins du monde entier, naturels, biodynamiques… C’est pareil pour la cuisine, les goûts tendance, comme le fumé, une belle acidité, épicé, iodé, ou la mode de la nouvelle cuisine péruvienne avec des plats comme le ceviche, peuvent très bien accueillir le saké. C’est une boisson qui complète bien les vins. À part les vins et les sakés, même en cherchant dans le monde entier, on ne trouve pas beaucoup d’alcools non distillés qui possèdent cette ampleur… »

Transformer le saké en spectacle 

Chez Lili, les contenants sont aussi importants que les contenus. Les verres ultra-fins en provenance du Japon ou d’Autriche, tellement légers qu’on croit tenir à la main le poids du liquide et rien d’autre, correspondent à l’image des sakés qu’ils proposent : sophistiqués, fins, de rare qualité. Pour les sakés servis chauds, en hiver surtout, ils apportent un kit de saké sur la table ; le flacon est mis au bain-marie et les clients peuvent vérifier eux-mêmes la température. Xavier Thuizat note que le « côté spectacle » a aussi son importance : « lorsque je traverse la salle avec une grande bouteille de saké de 1,8 L, les clients sont intrigués et me demandent ce que c’est, ça leur donne envie de goûter. » Ainsi, en 2015, quelque 2300 verres de saké ont été dégustés dans son restaurant.  

Au Kura, le saké est servi dans des chokko, petits gobelets à saké traditionnels ; le serveur en présente de plusieurs types, de tailles et de couleurs différentes pour que les clients puissent en choisir un comme cela se fait au Japon. « Je tiens à ce qu’ils le goûtent à la japonaise, qu’en mangeant cette cuisine, ils se sentent au Japon. »

Dans sa nouvelle boutique de bentô « Hana », Jérôme Bracco compte également proposer le Kappu zaké (saké vendu dans un petit flacon en verre) ; c’est un saké de forme populaire au Japon, et très pratique puisque conditionné en portions personnelles : « les kappu zaké de bonne qualité existent aussi, en provenance de petits producteurs, et je voudrais bien les faire découvrir ; quand vous sortez du bureau et que vous n’avez pas envie d’aller au restaurant ni de faire la cuisine, il y a un moyen de se faire plaisir, avec un bentô de produits de qualité et du saké intéressant à un prix honnête. » 

Multiplier les événements
sur le saké

Keiichirô Miyagawa a beaucoup étudié l’évolution de la consommation du vin au Japon dans les années 80. « C’est au moment où il a commencé à y avoir, à la fois dans les hauts lieux de la gastronomie et en grandes surfaces, des propositions de bouteilles de différents niveaux que le marché a vraiment décollé. Je suis certain qu’il en ira de même pour le saké. Il faut une certaine diversité pour attirer le plus grand nombre d’amateurs. »

La multiplication des événements est également un facteur favorable. Le Salon du saké est une belle opportunité de rencontre pour les futurs clients, qui viennent y découvrir et trouver le saké de leur goût, mais toutes les autres dégustations et des soirées d’accords mets et vins sont les bienvenues pour nous tous qui travaillons dans le saké.   

Nous avons également besoin de publications sur cette boisson : manuels, guides (comme le petit guide du saké en manga édité par Wasabi), livres gastronomiques (comme ceux de Toshirô Kuroda ou Laurent Feneau)… Là aussi, la multiplicité des approches permettra aux Français de découvrir l’univers du saké. »   

Former le personnel

Xavier Thuizat donne parfois des cours de saké en section Sommelier à l’école hôtelière et communique avec ses confrères : 

« C’est lorsque l’équipe connaît elle-même bien les sakés, qu’elle les aime et les apprécie vraiment qu’elle peut conseiller les clients avec conviction. Aux jeunes sommeliers, je dis toujours que le saké est l’avenir des sommeliers français ». Kaoru Iida propose aussi des formations sur le saké auprès des restaurants. Pour elle, l’avenir du saké est entre les mains des jeunes sommeliers, car ils sont plus ouverts et curieux aux nouveaux goûts. Elle pense aussi que l’éducation des acteurs dans le domaine (distributeurs et vendeurs) est aussi importante. 

Keiichirô Miyagawa, quant à lui, met l’accent sur la nécessité d’aller informer directement les cuisiniers : « Dans un restaurant français, même si le sommelier est prêt à ajouter un saké à sa carte, tant que le chef est réticent à faire goûter ses plats avec du saké, ça ne marchera pas. Il faut aussi que le personnel de salle soit formé pour que la boucle soit bouclée. ». 

Même constat chez Foodex, importateur et grossiste en produits alimentaires pour la restauration japonaise. Pour Benoît Cauffet, le nouveau président de la société, le saké est un produit qui nécessite une pédagogie particulière : « Il est primordial que les restaurateurs connaissent bien les sakés qu'ils mettent sur leur carte. C'est la raison pour laquelle nous avons ouvert un showroom spécifiquement dédié au saké avec deux personnes à plein temps. Nous y organisons régulièrement des événements et des dégustations en présence de producteurs ou de spécialistes capables de transmettre leur savoir.»

Diviniser le saké

Laissons, pour finir, la parole à Sylvain Huet, l'organisateur du Salon du saké à Paris (1), qui inlassablement, parcourt l'hexagone afin d'expliquer cette boisson aussi bien aux amateurs qu'aux professionnels : « Dans mon parcours personnel, à travers mes nombreux voyages et séjours, le saké a été et continue d’être véritablement un lien puissant, sensoriel, émotionnel, souvent de l’ordre de l’indicible, pour aller vers l’autre. Si le saké, au Japon, est réputé faciliter les relations sociales entre les hommes, il est en premier lieu la boisson des divinités japonaises, les kami, établissant un lien, un équilibre entre différents mondes, différentes réalités.»

Le saké boisson des dieux ! Peut-on trouver meilleur argument commercial ?

(1) Prochaine édition les 22, 23 et 2 octobre 2016. Rens. sur www.salon-du-sake.fr

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