Les secrets du poisson frais

Techniques de pêche, conservation, découpe, méthodes de transport, chaque étape est importante pour garantir au consommateur le poisson le plus frais possible. Chaque maillon de la chaîne doit être bien rodé et les relations entre les acteurs de la filière étroites. Selon Isabelle Letellier, consultante chez Mer Conseils, le type de pêche pratiqué joue un rôle déterminant sur la vitesse d’évolution du produit. 

L’eau est l’ennemi du poisson frais 

Pour les sushis, mieux vaut un poisson pêché avec des techniques peu destructives comme la ligne ou les casiers même si un certain type de pêche au filet peut aussi convenir. Les poissons issus des petites pêches sont plus frais, et la qualité souvent meilleure que la pêche d’un navire resté plusieurs jours en mer. En général, le chalut abîme plus le poisson que la ligne. Mais tous les chalutiers ne pêchent pas de la même façon, et la durée des traits – c’est-à-dire pendant laquelle le filet est tiré dans l’eau – peut varier de 2 à 4 h. Or, comme on dit au Japon, l’eau est l’ennemi du poisson... Aujourd’hui, les navires sont équipés de sondeurs qui leur permettent de savoir ce qui entre dans le chalut. Le pêcheur consciencieux videra son filet dès que la quantité maximale sera atteinte. Celui qui l’est moins continuera à le remplir pour faire plus de volume. Le poisson risquera alors davantage d’être écrasé au milieu de la nasse, et se tiendra moins bien par la suite. 

Température constante

La plus ou moins longue tenue d’un poisson dépend aussi de la manière dont il est conservé sur le bateau. Dès qu’ils sont pêchés, la plupart des poissons sont éviscérés à bord sauf la dorade, le bar, le maquereau et les petits poissons bleus comme le chinchard ou la sardine qui sont le plus souvent simplement saignés. Généralement, ils sont ensuite « glacés » pour être conservés entre 0 et 2 °C. Seule la petite pêche – de moins de 24 h – n’assure pas toujours de glaçage. « Le glaçage est primordial, car le poisson a souvent un long trajet à faire avant d'arriver dans l'assiette. Il doit donc être maintenu à la même température de sa sortie de mer à la livraison pour éviter que les bactéries se développent et que le poisson se dégrade », explique Jean-Marc Ramet, Vice-président de l’Union Nationale de la Poissonnerie Française (UNPF). « Dans le circuit classique en France, il faut compter entre 48h et 72h entre la pêche et la vente. A chaque étape, la température reste constante, entre 0 et 2 degrés, dans la cale du bateau, dans les camions réfrigérés et dans les frigos du poissonnier. Pour les arrivages venant d’autres pays, les délais et les modes de transport sont généralement les mêmes. » 

Cap sur le phare de Rungis

A Rungis, le ventre de Paris, le pavillon de la marée a une obsession : le respect de la chaîne du froid. Il est doté d’une infrastructure performante, avec déchargement “sous froid“ pour que la glace ne fonde pas avant l’entrée dans la zone de vente, et système de refroidissement du sol au plafond. Comme il est impossible de contrôler chaque poisson, les grossistes sont soumis à des règles strictes, et leur activité régie par des procédures écrites. Quant aux contrôles des services vétérinaires, ils sont fréquents. On regarde la rigidité du poisson frais et la transparence du mucus, on traque l’affaissement des chairs, et on piste les fraudes, par exemple les produits plus assez frais lavés et reglacés pour essayer de leur redonner l’apparence de la fraîcheur.

Cédric Gabrieli, en charge des ventes de Reynaud Restauration, a créé des partenariats de longue date avec ses fournisseurs. « On ne fait que du frais. En général, les poissons arrivent entre 2 et 4 jours après l’abattage. Seul le thon et le mulet sont sauvages. Le reste, c’est de l’élevage. Le saumon vient de Norvège, le thon principalement de l’Océan indien, le bar et la dorade de Grèce, et le mulet de nos côtes. Les restaurants de sushi nous demandent majoritairement du saumon (60%) et du thon (30%). On reçoit ce dernier entier et on le travaille à façon, à la demande du client. Il est donc découpé quelques heures avant la livraison. Avec un arrivage par avion trois fois par semaine, on assure à nos clients un poisson d’une fraîcheur irréprochable. De toute façon, l’étiquette ne ment pas : elle mentionne l’origine du produit et le jour d’abattage, et indique si une surgélation flash a eu lieu. »

Le froid ne tue pas

Alain Bailly, directeur de Fish is life, une société implantée à Rungis spécialisée dans la transformation et la distribution du thon, fournit lui aussi de nombreux restaurants de sushi. « En France, le thon albacore et le thon obèse Patudo sont à l’honneur. Frais, il arrive par avion, principalement de l’Océan Indien. Sachant qu’en théorie, pour les sushis les poissons sauvages devraient été congelés à -20 degrés à cœur pendant au moins 24h pour éviter l’anisakis, un parasite qui peut être très nocif (voir encadré). Cette obligation légale étant souvent contournée, certains restaurateurs optent pour le congelé transporté à -60 degrés sur les bateaux de pêche (c’est ce qu’on appelle la filière sashimi – 50). Aujourd’hui, cette filière sashimi -50 représente seulement 20% des ventes à destination des restaurants de sushis, mais les mentalités sont en train d’évoluer, notamment pour des raisons de coûts, plus stables en congelé. Pour Eric Woog, patron de la chaîne de restaurants japonais à comptoir tournant Matsuri et client de Fish is life, « le circuit pour le thon albacore est bien rodé : cryogénisation à bord, stockage et transport à -60 degrés, tout est parfaitement maîtrisé, et tous les contrôles effectués à réception attestent de la qualité des produits livrés. » La surgélation cryogénique est une méthode particulièrement efficace pour empêcher la détérioration organoleptique (perte de texture et déshydratation) des produits. « Ce partenariat avec Fish is life a été un travail de longue haleine. Nous avons créé notre propre filière d’importation responsable en sélectionnant une pêcherie qui partage nos valeurs pour contrôler l’origine, la qualité et la traçabilité de nos approvisionnements. » 

L’aquaculture, un approvisionnement constant et de qualité 

Pour l’autre star des restaurants japonais, le saumon, la traçabilité est plutôt aisée, la filière étant particulièrement bien rodée. Dominique Pointu, responsable PFT (produits frais traditionnels) chez Promocash, le magasin cash & carry du groupe Carrefour, reçoit deux arrivages par semaine. « Pour le poisson d’élevage, la chaîne d’approvisionnement est très rapide. Le poisson arrive souvent 3 jours après l’abattage, et les informations sur la provenance et le mode d’élevage sont transparentes. Nous le réceptionnons soit entier conservé sous glace dans des caisses en polystyrène, soit découpé en filets en Norvège en pré rigor (étape juste après la mort, quand les muscles sont encore souples), ce qui est de plus en plus fréquent pour minimiser les coûts de transports.» 

Une traçabilité rassurante, mais un mode de production contestable, l’aquaculture nécessitant de nourrir les poissons avec des espèces sauvages (5 kg de poissons sauvages sont nécessaires pour produire 1 kg de farine alimentaire pour les poissons d’élevage). « En France les restaurants à sushis utilisent trop peu d’espèces. » déplore Alain Bailly de Fish is life. « C’est très français de tout miser sur le saumon. Les autres pays européens dans lesquels nous opérons ont compris l’intérêt de se diversifier. D’abord cela évite de vider les océans, ensuite cela permet de ne pas lasser les clients, et finalement c’est une sécurité en cas de problème sur une espèce, comme c’est le cas du saumon actuellement, où l’offre ne suit pas la demande et où le Chili, deuxième exportateur mondial de saumon, ne peut plus fournir à cause d’une micro-algue toxique. Les restaurateurs auraient donc intérêt à diversifier leurs achats et leurs produits, notamment avec du local, même si c’est plus difficile à gérer. La sériole par exemple, très utilisée au Japon et disponible en France, est un excellent poisson, tout à fait adapté aux sushis et aux sashimis. » 

Le poisson vivant, tué en ikejime

Acheter le poisson frais en direct plutôt qu’à travers le circuit traditionnel (pêcheur, criée, mareyeur, grossiste, détaillant), voilà qui séduit de plus en plus de restaurateurs soucieux de travailler des produits de qualité. Les intermédiaires se réduisent pour privilégier les circuits courts, passant directement de la criée aux grossistes ou aux poissonneries. Pour Dominique Pointu, de Promocash, c’est le meilleur moyen pour proposer des produits ultra frais. « On développe de plus en plus ces circuits courts, notamment pour les maquereaux, les dorades et les poissons nobles comme le turbot et le bar de pêche. Là on est sur des petits bateaux qui sortent 24 ou 48h. Toute cette petite pêche côtière de l’Atlantique se vend le surlendemain de la pêche. Conservée en caisse polystyrène sous glace, elle passe directement de la criée en magasin. »

A Paris, les restaurants les plus haut de gamme ne jurent plus que par les poissons bretons vendus chez Shinichi, la poissonnerie récemment ouverte dans le 16e arrondissement par Toru Okuda. Le chef japonais étoilé propose des poissons vivants, comme on les trouverait à Tokyo. Acheminés jusqu’au port dans des bacs d’eau de mer, turbot, dorade, barbue, bar de ligne, maquereau, chinchard, merlan, rouget en provenance directe de Bretagne prennent aussitôt la route de la capitale dans des camions équipés de viviers d’eau filtrée et oxygénée. Débarqués vivants à Paris, ils sont tués à la demande en ikejime (prononcer « ikéjimé »), une technique japonaise qui consiste à saigner le poisson et à retirer le nerf de la moelle épinière en passant un fil métallique à l'intérieur de l'arête centrale pour pouvoir le conserver plusieurs jours dans un parfait état de fraicheur. Sa chair, plus « propre », pourra ainsi être maturée, jusqu’à obtenir une extraordinaire texture, souple et soyeuse, riche en umami, le fameux 5e goût du Japon…

Le saumon en première ligne

Le saumon est de loin le poisson le plus consommé dans les restaurants japonais (environ 60% des demandes). Les stocks de saumon sauvage ont été divisés par deux en 20 ans et 95% du saumon consommé en France provient aujourd’hui de l’aquaculture. Principalement de Norvège, qui compte 900 fermes d'élevage. Un nombre que le gouvernement limite en distribuant des licences au compte-gouttes. « Les fjords, à la fois très profonds et proches des côtes, sont des lieux idéaux pour l'élevage », indique Maja Teskeredzic, chef de projets au Centre des produits de la mer de Norvège. La France est le premier pays consommateur de saumon norvégien, avec 121 000 tonnes importées en 2015. Malgré la crise économique et la hausse du prix du saumon, la demande en saumon frais de Norvège ne cesse de se renforcer. Longtemps controversée (pollution locale due aux traitements chimiques, fugues et propagation de maladies sur les saumons sauvages, alimentation des poissons...), la pisciculture norvégienne est désormais une affaire ‘saine’ bien contrôlée et soucieuse de la cause environnementale. « Les saumons passent d'abord un an en eau douce, avant de rejoindre des bassins salés où ils grossissent pendant deux ans. La régulation norvégienne impose une jachère de trois mois après chaque cycle d'élevage, afin de laisser le fond marin se régénérer. De toute façon c'est dans l'intérêt des industriels de protéger leurs ressources et de développer la recherche pour s'améliorer. » 

La logistique fait partie des raisons du succès de l'aquaculture. « Les clients et les réseaux de commercialisation d'aujourd'hui exigent la qualité, la stabilité et la fiabilité, ce qui est difficile à atteindre dans les captures de pêche. Quand le saumon a atteint entre quatre et six kilogrammes, il est transporté vers l‘abattoir par bateau vivier contenant de très gros réservoirs d'eau, permettant de transporter le saumon vivant. À l'arrivée, le saumon est anesthésié, abattu, éviscéré et lavé, avant d'être trié par taille et qualité, puis placé dans de la glace. Il est ensuite transporté vers les lieux de consommation. Pour la France l’acheminement se fait principalement par camion Il faut compter 48 à 72 heures entre le départ du camion et l’arrivée en France. » 

Désireux de faire preuve de transparence, le Centre des produits de la mer de Norvège a mis en place un site d’information en septembre 2014 : toutsurlesaumon.fr.

Attention à l'anisakis

De nombreux poissons pélagiques sont infestés par l’anisakis, un petit ver qui prolifère dans le poisson cru, et qui peut provoquer de graves problèmes gastriques. Afin d’éviter toute contamination, les modalités de pêche industrielle imposent de vider le poisson directement sur les bateaux. Mais le risque zéro n’existe pas, et les petits pêcheurs ne sont pas soumis à cette obligation. Seule la congélation à – 20 °C pendant au moins 24 heures permet d’éliminer le risque infectieux. Une précaution importante pour la consommation de poisson cru.

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