Mihon, ces faux plats plus vrais que nature !

Au Japon, pour attirer le client, les restaurants exposent, en vitrine, des reproductions de plats qu’on jurerait sortis de la cuisine. Des secrets de fabrication qu’il est aujourd’hui possible de découvrir.

Parmi les milliers de choses qui frappent les voyageurs étrangers au Japon, il y a ces plats en résine synthétique ou mihon qui décorent les vitrines des restaurants. Bols de fausses nouilles, faux curry, faux gyôza, pizza, sandwich, bière et café, sushi, ou encore pancakes à la crème chantilly… 

Ces présentations facilitent grandement le choix lorsqu’on ne comprend pas la langue du pays, et mettent en appétit les promeneurs des passages souterrains où pullulent les petits restaurants populaires, ou des « food court » des centres commerciaux. 

A part en Corée et dans quelques rares autres pays asiatiques, ces échantillons typiquement japonais n’existent nulle part ailleurs.

Ils seraient nés sur l’archipel sur le modèle des cires anatomiques utilisées pour les laboratoires et les étudiants en médecine et ce sont les grands magasins qui, dans les années 1920, sont les premiers à les utiliser car ils sont alors considérés comme les symboles de la nourriture moderne. Mais ils gagnent leur popularité surtout dans les années 1970, quand l’usage des résines synthétiques se développe. Utilisée jusque-là, la cire présentait l’inconvénient de se casser facilement et de se déformer à la chaleur. 

C’est dans les années 1970-80, que les échantillons alimentaires connaissent leur période de gloire. À l’époque, les restaurants commencent en effet à proposer des menus du jour (teishoku) que l’on retrouve à l’identique dans la vitrine. Les touristes qui se contentent de montrer du doigt ce qu’ils veulent manger sont alors frappés de constater que ce qui leur est servi est exactement ce qu’ils ont vu en vitrine !

Des plats en forme de porte-clef,
de clef USB, de pin’s, de badge,
ou même en boucles d’oreille... 

Mais au Japon plus qu’ailleurs, une mode en chasse une autre et bientôt, les patrons de restaurants trouveront plus économique et plus moderne de reproduire leurs plats en photo qu’en « vrai ». Jusqu’au début des années 2000, les faux plats ne sont plus utilisés qu’en province et deviennent, aux yeux des Japonais, carrément ringards. Le nombre d’artisans travaillant dans le secteur baisse alors rapidement, les jeunes ne voulant plus reprendre un métier peu rémunérateur.  Les ateliers de fabrications ferment les uns après les autres.

Le curieux regain des échantillons alimentaires est peut-être dû, en partie, aux étrangers, qui, avec un regard nouveau, trouvent aujourd’hui un intérêt à cette production et n’hésitent pas à rapporter chez eux, comme souvenir, de faux sushi ou une assiette de spaghetti avec la fourchette qui tient toute seule en l’air. Du coup, les jeunes Japonais trouvent aujourd’hui, eux aussi, ces échantillons amusants. Des magasins spécialisés vendent des plats en forme de porte-clef, de clef USB, de pin’s, de badge, ou même en boucles d’oreille... Des ouvrages sur ces échantillons sont publiés, recensant jusqu’à plus de trois cents modèles pour faire découvrir l’univers fascinant de cette « fausse nourriture ». Les fabricants organisent même des workshops dans les écoles ou les centres de loisirs pour les enfants. 

Sur certaines reproductions,
on trouve le nom de l’artisan qui a réalisé le travail !

Profitant de cette nouvelle fascination pour les faux plats, certains magasins proposent désormais des ateliers de fabrication durant lesquels on apprend à confectionner soi-même tempura, râmen, sushi, bentô ou desserts… Il vous en coûtera autour de 2000 yens (15 euros) et vous êtes sûr de passer un bon moment ! 

Mais si vous voulez acheter l’un des ces plats « grandeur nature » attendez-vous à le payer 10 fois plus cher que le vrai ! Alors qu’une vraie assiette de curry coûte 800 yens (6,5 euros), son modèle en résine synthétique peut atteinde les 65 euros !

Mais ce prix se justifie largement car les processus de fabrication sont très complexes et requièrent un véritable savoir-faire manuel et artisanal : peindre les écailles de poisson, dessiner les filaments des clémentine, enrouler les faux grains de riz dans une fausse algue nori, courber la chair des crevettes en la chauffant légèrement sur une plaque puis la laisser refroidir dans l’eau tout en maintenant sa forme… Tout cela ne peut se faire qu’à la main et demande à la fois du temps et de l’adresse. Les morceaux de résine industrielle qui ne sont, au départ, qu’un morceau de plastique, prennent, étape par étape, une apparence hyper réaliste d’aliments « quasi-vrais ». 

Ces étapes nous font prendre conscience des dizaines de détails qui caractérisent les aliments et auxquels nous ne prêtons habituellement aucune attention. Connaissez-vous, par exemple, la taille exacte des points sur les œufs de cabillaud ou de saumon ? Avez-vous une idée du nombre de teintes de vert qu’une laitue peut présenter ? Sans modèle, impossible de reproduire un aliment de façon convaincante.

Lorsqu’ils exécutent une commande pour un restaurant, les artisans spécialisés dans les mihon leur demandent plusieurs photos des plats ainsi qu’une description minutieuse de l’effet recherché. Les faux plats doivent en effet  ressembler le plus possible aux plats réels tels qu’ils sortent de la cuisine.  Un véritable travail d’artiste au point que certains fabricants indiquent, sur leurs produits, le nom de l’artisan qui les a réalisés. Avec un peu d’entraînement, peut d’ailleurs constater que chaque artisan à sa technique et son style propre. Certains excellent dans l’art de reproduire la peau de poisson tandis que d’autres se sont spécialisés dans le mouvement des nouilles tourbillonnant dans leur faux bouillon…

Aujourd’hui, un lieu de formation professionnelle existe, où l’on apprend, non seulement la fabrication de ces échantillons, mais aussi les techniques de prise de vue de produits pour les dépliants ou la création de pages web des restaurants. Les apprentis y apprennent aussi à faire réellement la cuisine pour améliorer leur savoir-faire en découpe des ingrédients et la mise en assiette. Sans oublier des cours de gestion pour monter sa propre boîte d’échantillons alimentaires. Cette petite industrie donne également du travail à quelques centaines d’artisans travaillant à la maison pour un revenu d’appoint.

Si vous avez un peu de temps au Japon, vous ne regretterez pas de participer à la fabrication de mihon. Bien plus que le simple plaisir enfantin de jouer à la dînette, vous y gagnerez un nouveau regard sur les aliments. Vous pourrez alors, avec l’œil du spécialiste, évaluer, comparer, analyser les différents types d’échantillons dans les vitrines des restaurants et repérer ceux qui se fournissent chez les bons artisans…

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